Le premier ministre dĂ©missionnaire, Gabriel Attal, nâa pas rĂ©examinĂ© la demande dâagrĂ©ment de lâassociation anticorruption alors que le tribunal administratif de Paris lui a ordonnĂ©, vendredi 9 aoĂ»t, de le faire et de motiver sa dĂ©cision sous quinze jours.
Le bras de fer se durcit entre le gouvernement dĂ©missionnaire de Gabriel Attal et lâassociation anticorruption Anticor. La tension est montĂ©e dâun cran alors que le premier ministre avait jusquâĂ mardi 27 aoĂ»t pour prendre une dĂ©cision et la motiver concernant la demande dĂ©posĂ©e par Anticor auprĂšs du gouvernement, en janvier, pour rĂ©cupĂ©rer son agrĂ©ment.
Ce sĂ©same a Ă©tĂ© perdu par lâassociation en 2023 à la suite dâune dĂ©cision du tribunal administratif de Paris. Il lui permettait, depuis 2015, de se constituer partie civile, notamment en cas dâinaction du parquet, dans les affaires dâatteinte Ă la probitĂ©. Saisi en urgence par lâassociation, le juge des rĂ©fĂ©rĂ©s du mĂȘme tribunal avait suspendu, vendredi 9 aoĂ»t, la dĂ©cision implicite du gouvernement, en la personne de Gabriel Attal, vendredi 26 juillet, de « refuser la dĂ©livrance de lâagrĂ©ment sollicitĂ© par Anticor » en janvier. M. Attal a Ă©tĂ© « enjoint » par le juge des rĂ©fĂ©rĂ©s de « rĂ©examiner la demande dâagrĂ©ment de lâassociation Anticor, en tenant compte des motifs de la prĂ©sente ordonnance » et de « procĂ©der Ă lâadoption » dâune dĂ©cision « dans un dĂ©lai de quinze jours Ă compter de la notification de cette ordonnance ».
Or, passĂ© ce dĂ©lai, le premier ministre nâa pas rendu de dĂ©cision explicite concernant cette demande dâagrĂ©ment. « Chacun voit bien dĂ©sormais que le silence est totalement politique, le gouvernement faisant le choix de dĂ©libĂ©rĂ©ment bafouer la loi et lâinjonction prononcĂ©e par le tribunal administratif, considĂšre Vincent Brengarth, lâavocat dâAnticor. Câest un pied de nez monumental Ă lâencontre de la sociĂ©tĂ© civile et de tous ceux qui combattent la corruption. »
Riposte judiciaire dâAnticor
Dans son ordonnance de référé, le tribunal administratif avait pourtant estimé que les motifs de sa décision faisaient « obstacle à ce que soit prise une nouvelle décision de refus non motivée ». Pourquoi M. Attal, chargé du « dossier Anticor » en raison du déport du garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, entretient-il le silence sur ce dossier et ne prend-il pas officiellement position ?
ContactĂ© par Le Monde, le cabinet du premier ministre dĂ©missionnaire nâa pas donnĂ© suite. En dĂ©cembre 2023, le gouvernement dâElisabeth Borne avait adoptĂ© la mĂȘme stratĂ©gie en ne rĂ©pondant pas Ă la demande dâAnticor, et en refusant donc implicitement de lui accorder lâagrĂ©ment. Mercredi 28 aoĂ»t, Anticor a ripostĂ© en dĂ©posant deux requĂȘtes en rĂ©fĂ©rĂ© devant le tribunal administratif de Paris. Constatant « lâabsence dâexĂ©cution de lâordonnance de rĂ©fĂ©rĂ© par le premier ministre », lâassociation demande notamment Ă la juridiction dâenjoindre Ă M. Attal de « rĂ©examiner la demande dâagrĂ©ment » et « dây rĂ©pondre explicitement dĂšs la lecture de lâordonnance de rĂ©fĂ©rĂ© sous astreinte » pĂ©cuniaire « de 1 000 euros par jour de retard. »
« Le silence gardĂ© pendant ces quinze derniers jours par le premier ministre est doublement signifiant et inquiĂ©tant, dĂ©clare Paul Cassia, le prĂ©sident dâAnticor. A lâĂ©gard dâAnticor dâune part, puisquâil paraĂźt dĂ©sormais clair que, quoi quâil en coĂ»te au gouvernement en termes de respect de la lĂ©galitĂ©, lâagrĂ©ment anticorruption ne doit par principe pas ĂȘtre dĂ©livrĂ© Ă lâassociation, pour une ou des raisons qui nous Ă©chappent, mais qui nâont manifestement rien Ă voir avec les conditions juridiques de dĂ©livrance de lâagrĂ©ment. »
Cela est aussi inquiĂ©tant « à lâĂ©gard de la qualitĂ© de lâEtat de droit dâautre part, ajoute le juriste, puisque le premier ministre dĂ©fie ouvertement, publiquement et dĂ©libĂ©rĂ©ment lâautoritĂ© de la chose ordonnĂ©e par le tribunal administratif de Paris, en nâexĂ©cutant pas une dĂ©cision de justice rendue au nom du peuple français ».
« Vous foutez les gens en lâair »
LâagrĂ©ment dont bĂ©nĂ©ficiait Anticor lui avait Ă©tĂ© retirĂ© Ă la suite dâun jugement du tribunal administratif, en juin 2023. La juridiction avait considĂ©rĂ© que lâarrĂȘtĂ© du gouvernement de 2021 était entachĂ© dâ« une erreur de droit ». Il affirmait, Ă la suite de divergences internes dans la gouvernance dâAnticor (deux dissidents de lâassociation avaient Ă©voquĂ© des dons faits Ă Anticor, en 2018 et 2020, par lâhomme dâaffaires HervĂ© Vinciguerra, proche de lâex-ministre socialiste Arnaud Montebourg) quâil existait « un doute sur le caractĂšre dĂ©sintĂ©ressĂ© et indĂ©pendant » de lâassociation.
EngagĂ©e Ă ce jour dans 148 procĂ©dures judiciaires, lâassociation crĂ©Ă©e en 2002 est Ă lâorigine de plusieurs dossiers sensibles pour lâexĂ©cutif, notamment celui en lien avec la mise en examen en 2022 pour « prise illĂ©gale dâintĂ©rĂȘts » du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâElysĂ©e, Alexis Kohler. Lâassociation a le sentiment dâirriter la Macronie depuis que le prĂ©sident de la RĂ©publique a eu des mots durs Ă son Ă©gard dans un reportage de mars 2023 du magazine « ComplĂ©ment dâenquĂȘte » consacrĂ© Ă lâaffaire Kohler. Le chef de lâEtat avait alors accusĂ© lâassociation de « faire durer les procĂ©dures. Et mĂȘme si les gens, Ă la fin, ne sont pas condamnĂ©s, vous les foutez en lâair ».
Dans son mĂ©moire en dĂ©fense devant le tribunal administratif, que lâassociation a saisi pour contester le refus implicite du gouvernement de dĂ©cembre 2023, lâavocat de Matignon a Ă©voquĂ© les « dysfonctionnements » dâAnticor et affirmĂ© que les « garanties » nâĂ©taient pas « suffisantes pour assurer le caractĂšre dĂ©sintĂ©ressĂ© et indĂ©pendant des activitĂ©s de lâassociation. De mĂȘme, le fonctionnement rĂ©gulier et conforme Ă ses statuts, assurant lâinformation de ses membres et leur participation effective Ă sa gestion, nâapparaĂźt pas Ă©tabli ».
« Aucun dysfonctionnement prĂ©cis et documentĂ© ne nous est reprochĂ©, et pour cause, rĂ©pond M. Cassia. Notre fonctionnement est on ne peut plus rĂ©gulier et rigoureusement conforme Ă nos statuts. Depuis 2022, Anticor a, au surplus, introduit une procĂ©dure de rĂ©fĂ©rendum dâinitiative citoyenne permettant Ă chacun des 7 000 adhĂ©rents de dĂ©clencher un vote sur une question de son choix lors de lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. » Le bras de fer se poursuit.
"Nan, mais chuis dĂ©missionnaire, chuis plus vraiment ministre, jâpeux rien faire, jâai les pieds et les poings liĂ©s. Ah la la, si seulement ces sales gauchiasses nâobstruaient pas le bon fonctionnement de notre gouvernement de travailleurs, jâaurais pu Ă©videmment accorder a Anticor de faire son travail. "